I.
matins des mauvais jours nous voici enfin seuls
une tendre mélodie écrème la nuit du bruit des chaînes et les cœurs
comme il fait sombre autour de moi
à vrai dire jamais je n'avais vraiment connu le noir
je m'en rends compte aujourd'hui
j'ai vécu dans un miracle de soleil
et à l'éclat le plus brillant de la plus brillant étoile
je dormais à poings fermés
matins des mauvais jours enfin nous voici
peut-être un peu plus vieux qu'à l'ordinaire
peut-être un peu plus las
un vertige de ténèbres me prend
sa terre se dérobe sous mon pas
je sombre dans un corps très beau de fruits et de lumières
qui comme un astre brûle de ce qu'il brûle
je sombre dans un paradis de rêve je m'échappe de vous
adieu nuits adieu jours je m'en vais loin d'ici
la vie des rêves trace sur vous sa route
et je me fonds en elle
comme en un bain de lait
mais non je ne mange plus de ce pain-là
mes jeux d'enfants je les ai quittés
il me faut apprendre à vivre en homme
tout près des autres hommes
comme si rien ne s'était passé
comme si je vivais encore
matins des mauvais jours
comme il fait sombre autour de moi
II.
je ne sais plus quel jour il est quel jour il fait
les champs verts du deuil sont mon seul horizon
je regarde passer les heures assis à la fenêtre
le ciel est immense au-dessus de moi
il y passe une étoile que ne guide plus ma voix
et tout le jour durant l'étoile poursuit sa route d'exil
la ville est matée de sommeil ses hommes abrutis d'images folles
je ne sais plus si nous sommes le matin ou une après-midi quelconque
je m'en fiche
je suis bien à ma fenêtre
une colonne d'hirondelle fait une descente sur les toits grisés de pluie
entre les cheminées et les tuiles arrachées
au loin un ballon de baudruche s'éloigne l'âme en peine de la cour du collège Robert Desnos où les enfants rient et chantent toute la semaine sans trêve ni relève
sans soucis ni doutes ni sarcasmes
la vie leur est un jeu d'enfant
courir se lever grimper courir encore écouter écrire tomber pleurer sourire frapper mentir aimer
toute la semaine
ô bonheurs de l'enfance que ne durez-vous toute une vie d'homme
la cloche sonne les écoliers se pressent à la grille les hirondelles dansent de clocher en clocher
la nuit tombe comme un couperet
je suis à ma fenêtre
je regarde la première étoile jeter de grandes ombres noires sur la ville
qui a rendu les armes
soudain mon regard croise mon regard dans le reflet de la vitre
il me semble malgré les larmes reconnaître le visage de ce garçon
fixe et sombre tandis que la rue s'éteint
je regarder la nuit entrer dans ces yeux verts détresse
plus sombres que le soleil
plus fixes que la lune
III.
la statue de marbre souriait au passant
la terre était vide de sens le sentier en jachère
dans le parc abandonné par le chant des enfants et des oiseaux
il s'en venait un homme que je ne connaissais pas
et qui n'était autre que moi
l'homme tenait entre l'annulaire et le medius le mégot d'une cigarette qui semblait fleur fânée
à son bras un grand par-dessus le même qu'à ses épaules et à son torse
deux cernes lâches menaçaient de tomber à ses pieds
il avait une oreille immense plus grande qu'un tour de manège un soir de feria
plus grande que la mort plus grande que la vie
et portait à la taille un anneau de cendre fraîche où brillait un diamant
des champs verts de la peur il s'en venait l'homme épuisé saluer l'idole de marbre et de fer
parvenu à sa hauteur il posa pied à terre – il marchait au-dessus de son ombre jusqu'alors – puis un genou en signe de servage et front baissé parla à la statue
« nous sommes de la race pieuse des infidèles
qui ne trompent jamais que leurs propres yeux ;
il y a bien longtemps
je vivais dans un château de cartes et m'y croyais en un palais de sel et de rose
mais tu sais mieux que moi
comment la tempête d'hommes heureux
fait miettes de suif et de chair et de sang »
la statue dit
« je suis la tempête, la tempête des sables noirs,
je suis le chant des feuilles et le miroitement des roseaux
je suis la lune terrestre de tous les solitaires
mais tu sais mieux que moi la froidure du marbre
embrasse-moi »
l'homme à l'oreille immense baisa les ongles de verre poli
s'inclina en pleurant tièdement
puis vêtit de son ombre la belle effigie
il pendit à la branche d'un séquoia le manteau qu'il tenait à son coude
pour s'en alla dans la brume fumante d'un joli mois de mars
IV.
voici que nous reviennent les charmes de la tempête
avec ses hauts-hurlants ses parterres de braise de suc et d'os broyés
une cloche comme un tambourin tonne entre mes bras ballants
son pouls m'écrase le cœur en rêve
la nuit est blanche de sommeil
il passe dans la chambre une foule d'ombres pieuses
qui ballent aux fenêtres ballent aux murs ballent aux portes
elles sont rideaux tableaux poignées grincent en cadence
sifflent une mélodie d'outre-tombe
la tempête est là
d'une oreille immense je guette le chant des oiseaux le rire des enfants
qui ne tardera pas
mais enfants oiseaux se dérobent à mes yeux pour fuir le mauvais mauvais
nous voici face à face
la tempête a deux yeux un nez
une bouche pour parler ou embrasser avec douceur ou cruauté
elle s'avance dans la chambre
elle a le souffle court et ample
ses lèvres tombent à mon oreille
et dictent
« elle est venue mon heure
l'attente a été longue pour chacun d'entre nous
mais nous voici tous les deux
d'aucuns disent que je suis un monstre aux yeux fardés que je mens plus que la nuit
d'autres me nomment la Putain véritable
ne les écoute pas
ils sont comme la sciure aux portes d'un palais de chêne
méprise-les
tu es d'un autre destin que tes frères mortels
tu as l'âme et le cœur de toutes le tempêtes
apprends à me connaître
apprends à m'apprendre
apprends à m'aimer »
elle fait d'une caresse un sort à mes désirs
et dans le bruit d'un papier que l'on froisse colle sa paume à mes yeux
je ne vois plus
à mon oreille
je n'entends plus
à ma bouche
je n'ai jamais parlé
me voici plongé dans le froid d'abysses interminables
me voici sombre et nu
tempête devenu
tempête roulant ses charmes dans les plaines du silence
dans les champs verts champs électriques de l'absence où l'amour n'a plus ses droits
je souffle sans discontinuer de tous mes poumons sur les châteaux de cartes du sentiment humain
enfin me voici parvenu au stade ultime du détachement
ne faire qu'un
avec la tempête
quand je rouvrais les yeux j'étais seul et la chambre
naviguait solitaire
sous les eaux froides de l'ennui
« Je suis une larme de poison sur la rotonde du calice. Je suis déjà sur ta lèvre, je suis déjà sur toutes les lèvres. Je n'accroche qu'à la pureté.
Laissez-moi ».
il fait silence dans la chambre des brumes. la belle dort à poings liés, le buée retroussée sur ses jambes et ses seins ; son corps usé d'amour repose sur la plage de mes sens. elle demeure ainsi étendue, pâle véritable, comme
j'ouvrais la porte au désastre de la nuit
qui la vient cueillir dans
la fraîcheur de son sommeil.
« Ne me touchez pas
prenez garde à vos yeux. »
l'hiver gagnait la pièce. dans
quelque coin de poussière une araignée glapit d'effroi ;
la mécanique du bruit
chantera avant coq avant aube avant soleil levant
je te le promettais
mais tu ne m'écoute pas
tu ne m'écoutais pas plus
que tu ne m'aura jamais écouté.
La voix dit :
« Un enfant qui rêve d'un oiseau
un oiseau qui rêve d'un enfant
voici que le miracle de la vie m'échappe de nouveau
je ne sais plus de qui je suis le maître duquel je resterai l'esclave
ma bouche est pleine de mots savants
leur futilité me crève le tympan
ô poésie ô miracle soyez à moi
aidez-moi
laissez-moi »
« je baiserai tes yeux je baiserai tes mains
je serai le secret de tes rides le chagrin de ses cernes
je vivrai en toi
dussé-je en perdre cœur corps âme esprit
bouche yeux oreille nez silence
je vivrai dans ton cœur comme le meilleur des
parasites
et puis je te laisserai là
seul et
comme abandonné à l'aube du désastre
et je rirai de te voir crier
vomir mon amour et mes caresses
car je suis l'autre larme de poison
celle qui baigne tes lèvres et enflamme tes baisers
au jour de tes rêves »
un silence assourdissant planait aux
murs de la chambre qu'éclaire les prem
iers rayons du jour.
la voix dit :
« bien
bien mon amour
qu'il en soit ainsi
car je n'en puis plus de vivre dans la solitude de mes jeunes années
plus de faner loin des hommes et des choses
prends-moi
fais de moi ce que tu veux
mais quand le moment viendra pour toi de m'ab
andonner à nouv
eau au douleurs du passé
surtout
ne te retourne pas »
j'ouvre les yeux.
la pièce était aussi noir que les yeux de
la belle, fermés sur tant d'
autres
secrets.
Terrible sort.
la belle dormait.
la belle dort
et la seule voix qui ait jamais brisé le silence était
celle de mon cœur.
VI.
la nuit trace un trait sur la feuille blanche blanche
et je m'élance
- il est tard
- quelle heure ?
- tard la nuit
à la fenêtre le ciel est sanglant comme un jour d'orage
les lumières fatiguent les façades des grands immeubles bleus de mer
je rêve de cent pas je rêve de promenades seul au fin fond de l'océan
mon crayon rumine
le trait se trace
c'est ainsi.
(la nuit est une curieuse affaire pour qui ne sait pas mourir)
le temps - rien d'autre ?
- cela va sans dire !
martèle la seconde avec le tact d'un marteau-piqueur
il est tard
il n'y a d'insomniaque que moi et la lune incendiée
la belle effarouchée
à demi nue
dans ses draps de sang
nous partageons cela cela la lune et moi de travailler sans heures
nous pourrions veiller ensemble
régner sur les champs arides du rêve et de l'ivresse
encore faudrait-il que nous fussions
« autre chose »
que deux piteux rouages
dans la rouleuse mécanique du temps
tard la nuit je dresse en toute impunité
la liste de mes griefs sur le bord d'une table en micra maculée de colle et d'ennui
je recompte les livres de ma chambre, faute de voix pour me raconter leurs histoires
la vie est belle, délicieuse, sans menace
la scie chanteuse opère à cœur ouvert
la gomme gomme la colle encolle
et le crayon gratte gratte gratte la feuille blanche blanche
gratte tard
- tard -
tard
tard la nuit.
VI.
ne te retourne pas
ne te retourne pas
sauve-toi
tu es libre à nouveau
tes yeux ne sont plus ceints par la tourmente
l'ensoleillée gagne le maquis comme la brume le port
combien de kilomètres as-tu tombé depuis ton dernier pas
ô tendre champs clairs de l'avenir
maintenant tu sais le prix de ces instants
que l'hiver cède à l'été
ne te retourne pas
la sentinelle frémit aux bras de la tempête
il est vague ce souvenir de ton ombre en proie aux grands tressauts
c'est l'été qui revient siffler aux cheminées éteintes du château
le vent tombe
tu n'es plus la sentinelle de personne
une hirondelle passe
d'autres champs
à perte de vue
l'horizon
tout est bien
tout est bien enfin
surtout ne te retourne pas